Mais à quoi sertla communication ?

Depuis la première version de cet article, écrite il y a 10 ans, le monde et ses enjeux ont changé, drastiquement. Pourtant, cette question de l’utilité de la communication est encore là, plus présente que jamais dans le doute et la méfiance que notre métier suscite. Alors qu’à l’époque on se demandait juste si la communication pouvait prétendre être autre chose que du “bullshit”, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la communication relève nativement du côté obscur, si elle appartient à ces pratiques qui devraient être interdites si l’on veut faire advenir un monde durable. Chez B Side, nous cherchons depuis 2019 une autre voie, celle de la réinvention d’une communication utile, qui aurait toute sa place et le pouvoir de contribuer à remettre le monde dans le bon sens. En attendant de trouver, voici nos réflexions.

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Le constat : les dérives de la communication

Soyons honnêtes, on ne se sent pas toujours fier de travailler dans la communication, au sens large. Quel professionnel ne s’est pas vu moqué au moins une fois en évoquant son métier ? La première étude sur « l’attractivité des métiers de la communication », réalisée par COM-ENT et le cabinet Occurrence en octobre 2022¹, a d’ailleurs mis des chiffres sur ce ressenti et démontre que le sentiment d’exercer un métier peu reconnu par la société, entre autres, pèse sur l’attractivité du secteur.

De fait, les occasions de pointer du doigt les « communicants » sont légion. Et le pire forfait d’hier (vendre un peu trop cher des concepts un peu fumeux) fait aujourd’hui figure de gentille blague. On commence désormais à comprendre que la communication a joué, et joue encore, un rôle clé dans les dérives de notre monde actuel, aux premiers rangs desquelles la fragilisation des démocraties et le dépassement d’un bon nombre de limites planétaires (CO2, déchets, plastique…). Et parfois les deux en même temps.

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Ca ne date pas d’hier : du « it’s toasted » publicitaire de Don Draper pour Lucky Strike (vous n’avez pas la ref ?? c’est ici²) aux jeux d’influence et de désinformation dénoncés, entre autres, dans le documentaire d’arte « La fabrique de l’ignorance³ », l’industrie du tabac a été une des premières à utiliser la communication dans un but de manipulation qui apparaît évident et choquant a posteriori, servant des intérêts privés au détriment du bien commun (en l’occurrence, la santé publique). Ces pratiques existent pourtant évidemment encore, portées à différents niveaux d’intensité par les cabinets d’affaires publiques, les agences de communication (en particulier de communication de crise), et même des « entreprises spécialisées dans les manipulations d’opinions publiques et la diffusion de fausses informations » à grande échelle comme le révèle régulièrement le consortium Forbidden Stories (via Le Monde pour la France). Tous ces acteurs n’ont pas une vocation de criminels ; ils sont portés, comme nous avons pu nous-mêmes l’être par le passé, par l’envie de bien faire leur travail, de se défendre ou de défendre leurs clients, de démontrer leur adresse, de faire tourner la boutique, de protéger la rentabilité de l’entreprise (l’agence, le cabinet, ou l’annonceur) et l’emploi.

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C’est animés de la même bonne foi que nombre d’annonceurs et d’agences continuent de promouvoir, parfois sans doute sans s’en rendre compte, des modèles de consommation dont tous les scientifiques nous disent qu’il faut les abandonner ; et glissent subrepticement dans le greenwashing, le nouveau fléau de la communication. L’exemple qui vient spontanément, c’est celui de la publicité pour un SUV électrique, affublée de son hashtag #SeDéplacerMoinsPolluer4 : promouvoir les véhicules électriques au détriment des véhicules thermiques peut sincèrement apparaître comme une bonne idée en lecture rapide, pour contribuer à la baisse des émissions de GES. Mais en regardant un peu plus loin que le bout de son nez5, on comprend vite que le véritable enjeu, c’est de diminuer le besoin de voitures, pour baisser la production, ce que ces publicités ne contribuent pas du tout à faire : le nombre de véhicules en France est passé de 36 millions à 38 millions entre 2015 et 20226.

Dans le domaine de la communication corporate aussi, le greenwashing gagne du terrain. Normal, ce ne sont plus seulement les produits qui doivent être « verts » pour séduire les consommateurs, notamment les plus engagés, mais les entreprises elles-mêmes. Alors quand une grande marque française de cosmétique revendique en presse à coups de doubles pages, et sur son site web, « Nous agissons pour lutter contre le changement climatique » et annonce que « 100% de (ses) sites seront neutres en carbone* d’ici à 2025 » (* scope 1 &2), on n’est hélas pas surpris mais on s’étouffe, et on s’interroge : incompétence ou manipulation ? Et revoilà les soupçons…

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Un nouvel espoir : la communication au service du nouveau monde

Faut-il donc pour autant faire disparaître la communication, plus néfaste qu’utile ? Etonnamment, la Convention citoyenne pour le climat elle-même répond non : tout en proposant la régulation de la publicité, elle affirme « nous pensons que l’information et la communication sont de puissants vecteurs de message pouvant changer les pratiques ; l’exemple le plus marquant étant celui de la sécurité routière. Nous souhaitons ainsi que ce levier soit actionné pour permettre une prise de conscience élargie des enjeux environnementaux ainsi que des solutions possibles pour y répondre.7 »

La communication pourrait désormais être employée à défaire ce qu’elle a contribué à construire : notre modèle de civilisation fondé sur la surconsommation. L’Ademe pousse aussi en ce sens dans ses réflexions sur la communication responsable (« Pour relever les défis sociaux et écologiques, nous devons réussir à transformer en profondeur nos sociétés et rendre ces métamorphoses désirables pour tous. Cela implique forcément de renouveler nos représentations et nos imaginaires collectifs à travers de nouveaux récits.8 ») et met à disposition des professionnels de la communication un ensemble très riche de ressources pour contribuer à l’avènement de ces nouveaux récits.

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Chiche ? Bien sûr ! Chez B Side, c’est ce qu’on a envie de faire. Mais, au-delà du fait que nous ne sommes pas une agence de publicité et que donc notre impact possible est sans doute un peu moins massif, il ne suffit pas de le vouloir pour le pouvoir. Il y a au moins deux obstacles à surmonter.

Le premier, c’est celui du changement de posture. Reprenons l’exemple de la grande marque de cosmétique : elle est en chemin, on imagine que personne dans l’entreprise ne pense sincèrement avoir réussi à transformer le business model en modèle régénératif, des centaines de personnes doivent être mobilisées (on espère en tous cas !) pour trouver des solutions pour réduire encore l’impact environnemental… et pourtant, on ne peut pas s’en empêcher, on la ramène, on enjolive, on se raconte qu’on est les meilleurs. Stop. C’est ce réflexe de bon élève qu’il faut faire disparaître, et ce n’est pas facile ! Surtout dans des entreprises habituées à devoir délivrer les meilleures notes à leurs agences de notation, hier financières et aujourd’hui ESG. En affichant sans nuance des scores tout à fait contestables, on trompe le public et on ne contribue pas à challenger le modèle. Développer une communication utile, c’est donc d’abord accepter de réinterroger cette posture pour aller vers l’expression de davantage de lucidité, d’humilité, d’horizontalité. Toutes les entreprises (en tous cas celles que nous connaissons) ont généralement plutôt envie de montrer ce qu’elles font de bien plutôt que leurs doutes ou leurs difficultés, c’est même pour ça qu’elles viennent nous chercher ; on a donc un peu de travail !

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Le deuxième obstacle, le plus sérieux sur le chemin de l’avènement de nouveaux imaginaires, c’est la question du financement. Une communication utile, c’est une communication qui contribue à donner envie d’un monde où on a besoin de moins pour être heureux. Si la communication a si bien réussi à faire naître au fil des ans tout un tas de nouveaux besoins, c’est parce que les entreprises qui produisent les réponses à ces besoins y avaient intérêt, et ont investi massivement en publicité, entre autres. La question centrale, c’est donc celle de savoir qui a à la fois intérêt à une baisse de la consommation et les moyens pour le faire savoir. Quel est le modèle économique qui va soutenir ces nouveaux imaginaires ? Qui va payer ? L’Etat, au même titre que cela a été fait pour d’autres grandes causes (comme la sécurité routière citée plus haut) ? Pas sûr que les budgets pèsent bien lourd en face de ceux des marques. Les agences, en modèle pro bono ? Attention, dans ce cas le vrai financeur reste la marque prête à payer très cher pour vendre ses produits et qui permet aux équipes des agences de passer du temps gratuit sur des sujets plus vertueux. Dans ce système, les nouveaux imaginaires ont donc besoin de la rentabilité économique des anciens. Ou bien personne parce qu’on sera passé à un modèle fondé sur le revenu universel où la question du financement des actions positives ne sera plus un sujet ? On le comprend, le sujet dépasse de loin notre périmètre d’action.

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Mais donc, à quoi sert la communication ? Pour synthétiser notre propos, globalement, la communication sert qui la paye. Si l’on veut tenter de mettre en œuvre une communication utile face aux enjeux sociaux et environnementaux, c’est donc la question de qui paye la communication, et pour quel objectif, qu’il faut poser. C’est ce que nous faisons systématiquement chez B Side, ce qui nous amène à sélectionner les clients et les projets pour lesquels nous travaillons… même si nous ne sommes (presque) jamais tout à fait sûrs de ne pas nous tromper !

1https://www.cbnews.fr/etudes/image-metiers-communication-sont-moins-attrayants-qu-avant-73916
2https://www.youtube.com/watch?v=8SsnkXH2mQY
3https://boutique.arte.tv/detail/la-fabrique-de-lignorance
4https://www.ecologie.gouv.fr/obligation-mention-sedeplacermoinspolluer-dans-publicites-automobiles
5Lire « En France, on n’a pas de pétrole mais on a du lithium! » (We Demain, février 2023)
Voir : https://www.youtube.com/watch?v=FkiMqLD3_YQ
6https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/387-millions-de-voitures-en-circulation-en-france-au-1er-janvier-2022
7https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/objectif/reguler-la-publicite-pour-reduire-les-incitations-a-la-surconsommation/
8https://communication-responsable.ademe.fr/nouveaux-recits/la-puissance-du-recit

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